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6 december 1872

van

Stéphanie Omboni-Etzerodt (bio)

aan

E.J. Potgieter (bio)

 

Volledige Werken. Deel 15. Brieven en dokumenten uit de jaren 1872-1873 (1983)

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6 december 1872

Brief van Stéphanie aan E.J. Potgieter. Twee dubbele velletjes postpapier, geheel beschreven. (U.B. Amsterdam; fotokopie M.M.)

Padoue 6 Déc - 1872

Monsieur

Je n'ai point oublié que je dois encore répondre à votre dernière lettre si pleine de prévenance et dans laquelle vous fassiez de nouveau preuve de votre obligeance et de votre dévouement pour notre amie. Si j'ai tant tardé à vous écrire, c'est que je désirais pouvoir vous donner des nouvelles positives tandis que le temps s'écoulait dans de continuelles incertitudes de façon que le fait d'aujourd'hui n' était plus celui de demain.

Effectivement vous aurez apris par Made. Dekker que son fils ne s'est pas trouvé bien dans la position qu'il avait pourtant désiré avoir à Londres et que, au bout de peu de mois il est revenu ici. En cela il a fait preuve de manquer un peu de constance et de persévérance; mais enfin la sagesse infuse n'est pas de cet âge, et il ne faut point oublier que la position, dans laquelle ce jeune homme se trouve, exige des sacrifices bien pénibles et contraires à ses goûts, qui le porteraient plutôt vers l'étude et vers les occupations intellectuelles. Ses excellentes qualités naturelles en feraient un jeune homme vraiment admirable, s'il avait le bonheur de se trouver dans une meilleure position. Toutes ses affections sont concentrées dans sa famille; tous ses goûts dans l'étude et dans l'amour du chez-soi. Il n'a aucun des ces penchants des jeunes gens du jour pour les plaisirs et les distractions du dehors. Maintenant a-t-il cet esprit de sacrifice, de persévérance et de courageuse abnégation que nécessiterait sa position? Espérons en tout cas que l'expérience et l'affection qu'il porte à sa mère les lui feront acquérir, car voilà le pivot, sur lequel tournent les destinées de cette famille.

Maintenant il a eu le bonheur de trouver une bonne position à Venise, chez le banquier Blumenthal; - puisse-t-elle être définitive et à la satisfaction mutuelle des deux partis. Je dois ajouter du reste que dans les emplois, qu'il a occupés jusqu'ici, on a toujours été content de lui, mais lui-même n'a pu se plier à l'assujettissement qui est inséparable du commerce, surtout pour un commerçant.

Le désir de sa mère serait de le rejoindre à Venise et de s'y fixer, en cherchant d'y donner des leçons comme ici, et elle aurait voulu mettre immédiatement ce projet à exécution. Mais naturellement les moyens lui manquent, et beaucoup de motifs conseillent de remettre ce projet encore pour quelque temps. D'abord elle a beaucoup de leçons cette année à Padoue, et il vaut mieux exploiter la mine pendant que le filon est bon, au lieu de courir le risque de l'inconnu; - en attendant sa fille profite encore de cette année pour achever ses études dans l'excellent collège qu'elle fréquente ici, - études si importantes pour son avenir et dont le fil serait rompu si elle était à Venise.

Pendant ce temps on verra si Edouard s'attache définitivement à sa position chez M. Blumenthal et sur ces entrefaites on arrivera aux vacances, la morte saison pour les leçons, pendant laquelle Made. Dekker pourra quitter Padoue sans rien y perdre; et si elle se décide à se fixer à Venise, y preparer déjà un terrain fertile pour l'hiver suivant, tandis qu'en quittant Padoue maintenant elle perdrait ce qu'elle a et elle ne trouverait rien là-bas.

Voilà donc les projets pour l'avenir. Quant au présent il va bien, de ce bien relatif que comporte une position toujours bien dure et bien douloureuse. Made. Dekker a beaucoup de leçons; elle est animée et recherchée dans les meilleures familles; mais pour cela aussi lui faut-il courir du matin au soir, se fatiguer outre mesure, s'exposer à toutes les intemperies.

Encore si elle avait de tous vêtements pour se garantir mais sous ce rapport elle est dans un état bien triste et dont on ne peut se faire aucune idée, si on ne se rend pas compte de l'absolu denument, auquel amène une longue suite d'années de misère, pendant lesquelles on a pu tout au plus de tenir à fleuve d'eau.

Ses leçons ne lui rapportent que le plus stricte nécessaire, d'autant plus que leur nombre n'a augmenté que dans ce dernier temps; qu'il a fallu passer toute une saison de chômage, les 3 mois de vacances pendant lesquel il lui a pourtant fallu vivre, et fallu vivre ses enfants. - Il lui faudra donc bien du temps pour se rattraper et se remonter un peu. Toutefois, si Edouard se maintient dans sa nouvelle carrière, et s'il gagne suffisamment, ce sera un grand soulagement - Ceux, qui ont le bonheur de se trouver dans l'aisance, ne pourront jamais assez se rendre compte des difficultés et des efforts incessant dont est hérissé chaque minime besoin de la vie matérielle pour qui n'a pas les moyens d'y suffire, et surtout pour qui a connu de meilleurs jours. C'est le spectacle, que j'ai continuellement sous les yeux dans la personne de ma pauvre et digne amie; et je me dis que qui a eu la vie difficile y a bien plus de merites que qui n' a jamais connu le besoin. Cette compensation morale est aussi la seule, qui retablit un peu de justice et d'équilibre-

Mais voilà une lettre qui s'est trop longue prolonguée. Permettez moi de la terminer en vous exprimant l'espoir que quelque heureuse occasion vous amènera un jour en Italie, et particulierement à Padoue, et nous fournira aussi le moyen tant désiré de vous remercier de toutes vos bontés pour notre amie, et de vous exprimer de vivevoix toute l'estime et la reconnaissance que nous vous portons. - Lorsque j'étais en Belgique ce printemps, j'aurais bien voulu aller vous saluer, mais ces deux tyrans de la vie, le temps et l'argent, y ont mis empêchement.

En vous saluant cordialement, ainsi que Mad. votre soeur, tant de la part de mon mari que de la mienne je reste votre tres-obligée

Stéphanie

Omboni-Etzerodt