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mei 1862

van

Multatuli

aan

Mathilde Henriette Marie Lespirt (bio)

 

Volledige Werken. Deel 10. Brieven en dokumenten uit de jaren 1858-1862 (1960)

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Midden mei 1862

Brief van Multatuli aan Mathilde X, Brussel. (Origineel in privé collectie, België).

Ik heb deze lange brief éenmaal in origineel gezien en toen kunnen collationeren met een niet-diplomatisch afschrift ervan. Op de envelloppe een stempel, waarvan volgens mijn aantekening: 9.5.62. leesbaar is; 9 mei 1862 echter was geen maandag; 19 mei wel.

Amsterdam, Lundi soir

Mathilde! Hier je partis pour Amst. Je n' attendais pour celà que votre retour du ‘N. Diep’. J' ai beaucoup à vous dire et il me semble qu'il y a un siècle depuis Ie moment que vous changiez de place en partant: merci.

Je vous aime beaucoup - ne crains rien. Je ne vous aimerais pas, si je n' avais observé combien il y a d'honneur dans votre franchise, dans votre regard, dans tous vos traits, dans votre brusque cordialité.

J'ai lu cela comme dans un livre ouvert... Je vous aime, vous, et votre honneur. Je ne vous comprendrais pas sans eet honneur. Ainsi ne reculez pas devant l'étrangeté de mon aveu. Je ne ressemble à personne. Je ne fais ni ne sens rien de commun. Rien d'ordinaire même; et ma noble Everdine, une héroïne d'amour et de délicatesse serait la première à vous dire: ‘Aimez-le’.

Cela doit vous paraître étrange, je n'analyse pas, je ne le saurrais, mais celà est. Elle sait que j'ai l'âme artiste, et qu'un artiste est amoureux du beau.

Vous m'avez accordé votre amitié, vous êtes trop serieuse pour faire des phrases, moi je vous promets une franche et cordiale amitié, et je vous prie de vous rappeler de votre promesse: de disposer de moi aussitot que je pourrais vous-être utile.

Pensez-y que mon coeur est tout puissant. Mettez-le à l'épreuve. Votre séjour a Delft et la Haye sera fertile en émotions pour tous les jours de votre vie à venir. Veuillez me les communiquer.

Aimer c'est donner. Domier ses impressions, ses sentiments, ses désirs, ses espérances, ses chagrins... oh, ses chagrins surtout! Aimer c'est donner son âme.

Je veux que vous m'aimiez! je vous donnerai ce que j'ai. Je vous en donnerai autant du moins qu'il me sera physiquement possible autant que je pourrais traduire en paroles, autant qu'il me sera matériellement possible d'écrire ou de prononcer.

Et pourtant je ne vous écrirai que très peu dans chaque lettre, car je déteste les phrases. Je suis avant tout un homme d'action et j'ai beaucoup à faire. Ne jugez pas d'après ce que vous avez vu, vous me voyiez quasi occupé de rien. Eh bien Mathilde croiriez-vous que chaque soir j'étais éreinté de fatigue - Je pensais.

Pour aujourd'hui je n'ai que peu de choses à vous dire. J'espère que vous ne le jugerez pas peu de chose.

Depuis ma 22e année (il y a de cela 20 ans!) j'ai un but, un seul but... le bien, un seul moyen la puissance. Je veux le bien; pour imposer ma volonté il me faut de la puissance.

En bien je serai le maître de cette petite terre. Celà sera Mathilde - Et je regrette que cette terre ne soit pas un soleil, ou quelque chose de plus grand.

Pour arriver a mon but je crée un parti, non pas un parti soidisant politique mais cosmopolitique.

En êtes-vous, Mathilde?

Ah! j'entends votre réponse. ‘Pour en être que faut-il faire? quelles sont les obligations?

C'est prudent. Et ma réponse: ‘Si vous m'aimez, vous trouverez les instructions dans votre coeur: Aimez-moi.

Je suis un volcan d'ambition, la bassesse de tout ce qui se fait dans les families, dans le commerce entre individus, dans le grand commerce entre les nations, tout celà m'ennuie et je veux que cela change. Je ne crains personae et rien. Depuis vingt ans je gymnastise mon âme et mon intelligence au détriment de mon corps, je le sais, mais je serais fort même physiquement aussitôt que j'en aurai besoin. Il y avait un temps que je me soumettais tous les jours à quelque danger de mort pour m'exercer à mépriser la crainte. (De nature j'étais poltron comme toutes les personnes d'une vive imagination; car la crainte est la faculté de sentir une peine ou une douleur future.’ Analysez cette idéé).

Je suis parvenu à me défaire de ce défaut. Je trouvais beaucoup de lacune à mon intelligence. Depuis mon jeunesse je ne fais que méditer, et en cherchant la cause de ce qui est je ne me laisse décourager que par l'impossible. Mais je ne suis pas content de mes facultés intellectuelles. La nature me cache beaucoup de choses. Mon coeur au contraire est ‘tout puissant et infini’. C'est Everdine qui l'a dit. C'est mon coeur qui m'a dicté que vous étiez grande et noble. C'est pour celà que je vous aime. Ne condamnez pas légèrement mon orgeuil. Je sais qu' orgeuil oblige et je me montre orgueilleux pour m' obliger envers vous.

Dire: je puis, je suis, c'est se déclarer pret a pouvoir et à être. La modestie n'est souvent que la crainte d'avoir à repondre de sa parole. -

- Vous avez agi noblement en me donnant votre portrait. Vous aussi vous avez puisé votre intelligence dans votre coeur. On vous avait dit que je mens - la vilaine phrase! Après votre départ je n'ai pas prononcé votre nom devant qui que ce soit. Je parlais de René, de Louise, d'Henriette espérant qu'on me répondrait ‘Mathilde’. Je ne vous ai nommé que dans ma chambre bien seul et doucement encore en regardant vos beaux traits, votre profil si plein d'énergie.

Le saviez-vous que vous aviez de Charlotte Corday dans votre expression? Je ne dis pas que vous ressembliez à C.C. mais vous ressemblez à son action, à la sublime tragédie de son âme.

Si j'étais votre père, j'oserais vous abandonner à des matelots, à des brigants, ou même à des messieurs de bonne société. Je sais que je vous retrouverais morte peutêtre - déshonorée jamais! -

Vous me reprochiez mon air sérieux acerbe. Il y avait de quoi. Plus tard je vous expliquerai celà, mais croyez que je suis doux et infiniment sensible. J'ai encore toutes mes impressions de 18 ans. Le toucher de votre robe me fit tressaillir, et en perdant de vue le convoi qui vous emportait j'ai pleuré.

Comment cela? Comment ces sentiments si jeunes, si tendres, si puerils si vous voulez, dans une personne si serieuse? dans quelqu'un qui vive si haut? Y a-t-il contradiction? Y-a-t-il manque d'unité, d'analogie?

Non! Pour être fort il faut savoir tout sentir et ce n'est pas signe de force que de se croire au dessus des sensations de l'homme. Mon étude c'est 1'homme. Comment réussirais-je si je ne par-tageais pas tout ce qu'un homme peut sentir? Oh! si vous saviez ce que l'ai souffert en ramassant ces feuilles que vous jetiez? Pourquoi le fites-vous? Vous ne l'auriez pas fait n'est-ce-pas si vous aviez su que je guettais depuis des heures ce petit bouton! - Vous n'y pensiez pas que vous étiez cruelle. Dites-moi que vous vous en êtes repentie après.

Voulez-vous me communiquer vos impressions pendant votre séjour à la Haye. Vous pouvez tout me dire.

Vous en rirez, mais j'ai une question à vous faire. Quand ai je commencé à vous aimer? Vous le savez (une dame sait celà toujours) moi je ne sais pas. Il me semble que je vous ai toujours connue et aimée. Il m'est impossible de me rappeler le premier moment. Pensez-y un peu et dites le moi. Celà m'interesse.

Si vous m'aimez ne vous en effrayez pas. Vous saurez ennoblir celà. Je ne comprends rien d'ignoble ni en moi ni en vous. Il ne me couterait pas tant par exemple de ne jamais te revoir; mais il me faudrait beaucoup de force pour subir l'oubli. Je veux tes pensées - Je tutoie, pardon Mathilde. Je veux vos pensées, les jetteriez-vous sur le gazon plustot que de me les donner?

Ah! j'aurais envie de vous envoyer ces feuilles de roses pour que vous me les retourniez! Je les aurais de toi, de toi Mathilde au lieu de les posséder maintenant comme un voleur, qui ramasse les biens d'autrui. Oui, je les renverrais si j'étais bien sûr que vous me les retourneriez.

Tu le ferais n'est-ce-pas? je lutte contre le vous. Tu me tutoieras n'est-ce-pas? Je m'appelle Edouard. Je vois encore mon nom écrit de ta main. Te rappelles tu comment j' ai su te mettre à dix neuf point pour mourir ensemble? Sais tu ce que je sentais en te nommant?

Adieu pour ce soir Mathilde. Moi, je te promets un noble dévouement. Si jamais tu t'apercevrais de la moindre déviation de l'honneur le plus strict, vous seriez liberée de votre parole. Mais d'ici là... aimez-moi, j'ai besoin de votre âme. Tu vois que je ne retires pas la mienne.

Adieu, écris-moi bien vite.

Ed.

Mon adresse est sans le moindre ‘monsieur’. C'est de 1'orgueil encore.

Douwes Dekker Multatuli Amsterdam

Je n'ai pas voulu demander à John ou May votre nom.

Dis moi si je me trompe. Merci encore du beau portrait et de ce que tu as changé de place en partant, c'est une touchante attention. Merci!