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13 november 1863

van

Tine Douwes Dekker-van Wijnbergen (bio)

aan

Stéphanie Omboni-Etzerodt (bio)

 

Volledige Werken. Deel 11. Brieven en dokumenten uit de jaren 1862-1866 (1977)

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* 13 november 1863

Brief van Tine aan Stéphanie. (Pée: Tine, blz. 12-16)

Bruxelles, le 13 Novembre 1863.

Ma Stéphanie chère! Ces jours-ci j'ai beaucoup souffert de mon doigt, aujourd'hui le mal est passé, mais je ne sais pas tenir la plume contre le pouce; je veux pourtant t' écrire quelques mots. Hier j'ai fait le pélérinage au bois de la Cambre. J'ai rêvé de toi. Oh, j'ai pensé à toi que tu en serais contente, je t'assure, oui. Les feuilles jaunes tombaient lentement et tristement à terre, il y avait un reflet rougeâtre qui n'était pas gai, tout m'inspirait la mélancolie. J'avais tant mal à mon doigt, enfin je n'étais pas à mon aise. J'avais soif d'être auprès de toi, de te voir, de me reposer sur ton épaule. Oh, si jamais j'aurais une maladie sérieuse, mon enfant, toi tu devrais être auprès de moi. Je ne suis jamais difficile quand je suis malade, je n'ai jamais de ces caprices de malades, mais il me semble que je ne pourrais pas guérir sans ta présence, il me semble qu'il serait si doux de te sa voir tout près de moi, d'avoir mes mains dans les tiennes et de puiser dans tes regards la douce consolation d'être aimée. Et ta dernière lettre surtout me le dit, que tu m'aimes comme moi j'aime qu'on s'attache à moi. Je suis contente que je me porte mieux aujourd'hui. Car Dekker ne peut souffrir que j'aie quelque chose. Il se sent alors malheureux. Hier au soir je me couchais à sept heures, mais à chaque instant il était devant mon lit. Il en souffrait autant que moi. Lui, avec tous ses écarts, il m'aime comme peu de femmes sont aimées. Je crois que c'est que j'aie l'avantage de le comprendre; non pas que mon esprit est si élevé, mais je crois que je le comprends par l'intelligence du coeur, et encore, je me reproche si souvent que je ne suis pas assez grande, que je ne sais pas assez m'élever à sa grandeur d'âme, qu'il me manque tant pour être la digne femme d'un poëte, d'un génie. Car ce n'est pas toujours chose facile, surtout pour moi. Je suis d'un caractère trop doux, j'aime trop le calme, ce qui est en moi souvent une faute. Mais si je réussis à faire mon devoir, oh! alors la satisfaction est grande. A la Haye, il y avait une familie qui se désolait à cause du dévouement que leur fille portait à Dekker; on me croyait malheureuse et délaissée. Je me suis montrée, j'ai parlé et plaidé la cause, on m'a accueillie d'une manière touchante et toute la familie m'a témoigné les plus grandes amitiés. On est fini de me chérir, de comprendre le noble caractère de Dekker, et que la haute enthousiasme de leur fille était bien placée. Voilà que j'ai réussi de donner un peu de bonheur, et moi j'en ai été récompensée, que Dekker fut très content de moi. Donner le bonheur, c'est recevoir soi même plus qu'on donne. Je ne comprend pas les personnes méchantes. Il faut les plaindre.

J'ai beaucoup de soucis. Je crains que Dekker ne saurait travailler ici. Il n'est pas inspiré. Je m'inquiète un peu sur sa santé; il tousse beaucoup. S'il avait les moyens il aimerait de se fixer en France, à Paris; je crois qu'il réussirait d'être auteur là bas. Ce serait toujours pour commencer, car il a des plans plus grandioses que d'être auteur. Mais l'argent avant tout.

Il y a longtemps que je n'ai pas visité ton père, mais je ne suis pas libre quand mon mari est à la maison. Il aime que je suis auprès de lui, surtout le soir, et je dois le ménager. Il a tant de soucis et de contrariétés, que moi je dois tout faire pour ne pas l'irriter.

Négligé pas ta santé, car si je te savais malade, oh, j'en souffrirais trop. Ne me gronde pas, mon enfant, si tu me crois trop exagérée en t'aimant trop. Non, laisse moi, laisse moi te dire tout ce que mon coeur sent à ton égard, et pense un peu que c'est un bonheur pour moi de bien comprendre l'amour, d'aimer quelqu'un autre que mon mari. Car à présent je comprends aussi les écarts de mon mari, je sais qu'il m'adore et qu'il sait aimer une autre. Et moi qui aime mon mari avec enthousiasme et adoration, j'ai une enfant que j'aime à la folie, qui est toujours présent dans mon esprit, qui me donne le courage de faire mon devoir. Oui, le véritable devoir de l'amour est d'inspirer de l'ardeur, du zèle, du courage; animé par un mobile si puissant on se surpasse soi-même, et voilà pourquoi je te suis si reconnaissante. C'est toi qui m'animes et m'inspires.

Dis moi, mon enfant, si tu me comprends, je veux dire si je m'exprime assez clairement en français. Je sais que je fais mille fautes; je n'ai pas l'habitude d'écrire en français. Mais il suffit si tu me comprends, sans trop de répugnance de ces fautes dégoûtantes! Et pourtant j'aimerais beaucoup de t'écrire en français. Je veux que j'apprends à bien m'exprimer, je veux que tu me comprends en tout. Mes enfants sont si gentils. Edouard est un si bon garçon; son coeur est toute bonté. Nonnie est très intelligente; c'est un plaisir de lui faire apprendre quelque chose. Ils se souviennent beaucoup de toi; la mère leur parle assez de toi, je t'assure.

Oh, j'aimerais de venir auprès de toi, fusse un seul jour!! Adieu, ma petite ange, ma très très chère enfant, je t'embrasse de toute la plénitude de mon coeur.

Everdine.