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7 september 1863

Brief van Multatuli aan Mimi, waarvan alleen een deel - een peruviaanse vertelling in het Frans - bewaard is gebleven. (uit: Multatuli Bloemlezing door Heloïse, derde druk, Amsterdam 1888)

Deux jeunes péruviens [1.] péruviens: het betreft dezelfde geschiedenis die Woutertje Pieterse het volgende jaar aan Femke zou vertellen in Idee 518 (V.W. III, blz. 293 e.v.). Mimi tekent hierbij aan: ‘Multatuli had in die tijd de gewoonte my in 't fransch te schryven.’, frères sans aucune discorde fraternelle, Télasco et Kusco aimaient la même personne.

- Choisis! dit l'aîné.

- Je ne saurais... je ne saurais choisir. Je vous aime tous les deux... également... oui. - également... je vous le jure!

La noble fille mentait. Il n'y a pas deux feuilles égales à la forêt-

- pas deux amours égaux dans le coeur. Mais elle ne mentait que pour ne pas rendre trop malheureux celui des deux qui se verrait sacrifié à l'autre.

- Non... non... choisis, Adinda!

Et pourquoi ne pas l'appeler Adinda? Elle aura été brune, indienne, simple et fidèle comme l'autre.

- Non Adinda, il faut choisir! Voici Kusco qui t'aime, et qui dépérit du mal d'amour. Est-ce juste? Ne trouves-tu pas qu'il meriterait d'être aimé tout seul? Quel crime a-t-il commis pour être puni de la sorte? Son âme a faim de ton âme - son coeur a soif de ton coeur, et tu lui refuses sa nourriture, Adinda! Le pauvre Kusco mourra! Et me voici, moi Télasco, qui t'aime tant -regarde-moi et juge! Ne trouves-tu pas que mon amour est trop grand pour ne recevoir que la moitié du tien- n'est ce pas que j'ai le cour trop large pour ne posséder ton coeur qu'en partie. Je te supplie de choisir, Adinda.

Non Télasco!

Et Télasco insistait, mais Kusco ne dit mot. Car Kusco redoûtait la victoire.

Mais Télasco, espérant de succomber, ne lachait prise.

O Adinda, tu as le droit de donner le bonheur, mais non de le changer en supplice. Dispose de ton âme... choisis!

- Je ne saurais, Telasco!

Et Kusco se taisait toujours.

- Viens, mon frère ajoute tes prières aux miennes. Dis-lui, o, Kusco, que comme moi tu ne saurais vivre ainsi, mal rassasié toujours d'une âme partagée.

Mais Kusco ne répondit rien.

L'aîné en prenant Adinda par la main, continua de supplier:

- Choisis, Adinda! De par le soleil dont tu es fille... Choisis!

- Non!

- Je le veux!

- Et moi, je ne le veux pas! Je vous aime également, vous Télasco... vous Kusco... Mais écoutez... je veux mourir! Prends ma vie, Télasco, mais ne me force pas au choix impossible fratricide. Car songe-s-y bien, l'amour d'aucun de vous deux ne fermerait la blessure que me causerait le désespoir de l'autre. Je ne choisis pas, Télasco, je veux mourir!

- C'est bien parlé, Adinda. Je n'attendais pas moins de toi, fille de la lumière! C'est bien... tu mourras... ta mort est nécessaire. Tu n'y perds rien et nous gagnons...

Car voici Kusco qui gardera ton souvenir sans partage. Et moi, j'aurai à moi-seul le mien...

Toi morte, Adinda, je sentirai ta main sur mon coeur, sans que Kusco ne la cherche en vain dans ses rèves. Je boirai ton haleine dans les brises, et il en restera toujours à le désalterer. J'embrasserai les nuages sans appauvrir mon frère; et il y aura toujours assez d'étoiles à adorer pour nous deux, quand lui et moi nous prierons la sainte prière de notre amour.

Tu as bien parlé, noble enfant du Soleil! Tu as bien fait de ne pas choisir, et de préférer le retour vers ton père qui brille de fierté à tes paroles. Va, enrichis-toi de la mort pour nous payer la vie. Fais-toi immortelle pour nous enrichir de ton âme doublée...

Adinda, il y aura de la place pour deux... sur ton tombeau... prépare toi!

- Télasco, je suis prête.

- Tu n'as plus rien à dire? Rien à souhaiter?

- Non... rien... frappe!

Et Télasco parut se faire le grand sacrificateur, le ‘pontife maxime’ de l'arrêt que la sublime cruauté aurait provoqué, quand tout à coup:

- Arrête... Télasco! Une prière!

- Aux dieux? toi, déesse?... toi prier!

- Une prière à toi, Télasco! La dernière!

Et Kusco tremblait. Il allait parler.. car il avait cru... il avait espéré que... que la dernière prière, la dernière parole d'Adinda..., il avait cru que son dernier soupir... serait pour lui.

Et Télasco frémit..., ‘Une dernière prière à lui!... pauvre Kusco!’

- Télasco! J'embrasse la mort qui me conduira vers mon père, la mort qui me rendra sainte et immortelle, comme je l'étais avant ma naissance. mais... mais... je préférerais la recevoir...

- Poursuis, Adinda!

- De sa main!

- Merci! Je le savais!

Et Télasco disparut pour ne jamais revenir.

DouwesDekker