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29 september 1863

Brief van Jhr. M. Salvador aan Multatuli. Twee enkele vellen postpapier, waarvan drie bladzijden beschreven. (M.M.)

Het tweede blad is beschadigd waardoor een klein deel tekst en de ondertekening verloren zijn gegaan.

Op blz. 4 het adres: Monsieur Ed. Douwes Dekker à l'hotel Rondeel Doelenstraat franco Amsterdam. Twee poststempels, Haarlem en Amsterdam, beide met de datum: 30 9 63.

Jhr. Salvador had op zondag 27 september Dekkers gezin te Brussel bezocht.

Harlem Ce 29 Septembre 1863

Cher monsieur Dekker!

Hier soir vers onze heures je suis rentré ici avec ma femme et ce matin j'ai été accablé d'occupations. Il est sept heures du soir et je m'empresse de vous faire savoir tout le plaisir que m'a procuré la connaissance de votre très intéressante familie, y compris Mademoiselle Charlotte de Graaff. Samedi, avant de partir d'ici je vous ai envoyé un petit mot de réponse à votre précieuse lettre du 25 avec les deux pages de cette jeune dame que vous m'aviez communiquées à cause de leur bienveillance pour moi. Elles m'ont servi en même temps à pressentir le coeur de l'auteur, avant de la connaître. J'ai trop à vous dire pour bien tourner une lettre; je ne vous donnerai que quelques impressions fugitives, disons plutôt permanentes ou durables, car elles ne passeront pas. Elles sont toutes des plus favorables; j'ai eu Dimanche durant plus de trois heures de vives émotions, tellement qu'elles, m'empêchaient parfois de m'exprimer nettement, avec calme et avec ma facilité ordinaire. Madame Dekker m'a inspiré très sérieusement un sincère respect et de profondes sympathies; je ne m'étais pas attendue à la voir telle qu'elle est, quoi que vous m'aviez montré son portrait. C'est une femme des plus remarquables et bien autrement nerveuse, mobile et intelligente que la photographie ne l'indique; maintenant que je l'ai vue, ce portrait me prouve de sa part une qualité de plus, la force de se dominer et d'exprimer avec un coeur de poète, j'appuie sur le mot poète, une douce et aimable bienveillance, un calme d'autant plus précieux; parce que son amour pour son mari et le désir de lui être utile la portent à se modérer. Je n'ai pas manqué de le lui dire avec tout le respect que l'on doit à une dame que l'on voit pour la première fois, mais où il y avait de deux côtés heureusement le parti pris de ne pas perdre le temps en banalités futiles, en préléminaires d'étiquette. Je vous assure que Madame Dekker a été fort simple, qu'elle n'a pas posé ni fait des phrases, mais qu'elle m'a plu par son coeur, par ses mouvements naturels de l'âme, par son éducation et ses manières qui forment en elle une seconde nature. Elle est plus que femme de poète; elle est poète elle même et m'a frappe, au milieu d'un discours vivement soutenu durant trois heures, par la justesse de quelques images, s'appliquant à ce que je venais de dire. Elle offre sous bien des rapports votre type; il y a même une certaine affinité ou ressemblance physique et morale entre vous deux; comme si vous étiez frère et soeur ou deux êtres faits pour s'unir. Je n'en dirai pas davantage; vous connaissez et savez apprécier Madame Dekker bien mieux que moi; j'ai gardé d'elle le plus agréable et le meilleur souvenir et n'oublîrai pas la promesse que je lui ai faite d'être toujours d'une sincérité parfaite à votre égard et de vous être dévoué dans la mesure de mes forces. Elle m'a serré cordialement la main et nous l'avons scellé d'un baiser fraternel, à la française.

Vos enfants sont délicieux; la petite, Nonnie (Elisabeth) est douce et gentille et d'une physionomie délicate et intéressante comme son portrait; le garçon très développé déjà pour son âge de neuf ans, est d'une volubilité remarquable en français autant qu'en hollandais. Cassé par la base, déjà d'un certain caractère et tout à la fois naturel, enjoué, et parfois peut-être espiègle et pétulant. Il est d'une jolie tournure leste et dégagée, et beau garçon par la finesse de ses traits et l'énergie nerveuse et expressive de son regard. Il m'a parfaitement plu. Il m'a reconduit de la rue de Berlin jusqu'à la place royale et de là il est monté avec moi en voiture jusqu'à l'hôtel de Suède, pour rentrer seul chez lui. Il aime à être appelé Constant, ne voulant pas trop de son nom d'Edouard; il me parait comme ça un petit bout d'homme avec des idées assez arrêtées. J'ai connu beaucoup d'enfants et je vous assure que Mr. Constant est très bien et qu'il promet. Il m'a chanté un petit air militaire, pour défendre la patrie, d'une voix fraîche, avec un entrain de soldat.

Mademoiselle de Graaff a répondu à et même dépassé l'attente que j'en avais après avoir vu son portrait. Vous avez bien fait de la nommer une jeune dame distinguée et intelligente. Elle a la répartie vive et profondément sentie en même temps; une rapidité de conception dans le discours; son âme y est avec ses émotions, qui se trahissent quelquefois involontairement, mais qui toujours intéressent en son faveur. Je ne lui ai pas caché la confidence que vous m'aviez faite de deux pages de sa lettre et lui ai offert quelques brochures me concernant, non pas pour me poser auprès de cette autre femme poète, en homme politique ou martyr, mais seulement par honnêteté de coeur, pour ne pas abuser de son coeur ni de son imagination, pour ne pas être idéalisé et ne pas être mieux noté auprès d'elle, que mes antécédents ne le méritent. En même temps, je l'avoue et je lui ai dit, dans l'espoir qu'avec sa finesse d'aperçus [ontbr.] et instinct de femme sensible que m'a paru la distinguer éminemment, elle aura peut-être quelques bonnes observations à me communiquer qui pourront m'être utiles dans la route bien pénible et souvent difficile que je me suis tracée, après avoir renoncé, comme font les hommes, à mon propre moi. Madem. de Graaff me semble bien effectivement faite pour être une Fancy inspiratrice, pour faire vibrer les fibres les plus sensibles de notre coeur; elle est bien loin d'être ordinaire, et je n'ai vu en elle que du coeur, du naturel et une grande et exquise sensibilité, avec de belles et agréables manières, sans apprêt ni pédantisme. Nous causerons de tout cela en nous voyant et alors il y aura beau-coup à dire. Madem. Charlotte a résumé sa religion en twijfel en geloof; c'est devenu ma formule; je saurais ni ne voudrais renoncer à un des deux. J'espère que ma femme fera plus tard la connaissance de vos dames; elle en avait l'intention en venant de Paris, mais n'a pu l'effectuer, vû que nous avons dû quitter Bruxelles Dimanche soir, n'y pouvant trouver un gîte, à cause des fêtes. Mr. Nieuwenhuis lui en avait donné le désir.

Contentez vous pour cette fois de ces lignes; ne manquez pas, en cas d'un départ imprévu, de me confier votre adresse; je vous promets la plus grande discrétion. J'aurai de la peine à venir vous trouver cette semaine, à cause de quelques affaires pressantes; je tâcherai cependant de m'absenter pour quelques heures le plus tôt possible. Votre lettre du 25e Sept. pourra conduire entre nous à de nouvelles discussions. Adieu mon[......]de coeur

Votre [........] serviteur

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