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16 augustus 1863

van

Multatuli

aan

Mimi Douwes Dekker (bio)

 

Volledige Werken. Deel 11. Brieven en dokumenten uit de jaren 1862-1866 (1977)

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* 16 augustus 1863

Fragment van een brief van Multatuli aan Mimi. (Brieven IV, blz. 77; Brieven WB IV, blz. 71)

Dit fragment hoort waarschijnlijk tot dezelfde brief als het voorafgaande. Voor de kwestie Auguste Barbier, 19 juni 1860, zie VW X, blz. 263-267.

Veux-tu que je te raconte ce qui m'est arrivé à cause de Barbier? Connais-tu Auguste Barbier, le poëte des Jambes de 1830? A cause de lui j'ai eu une sotte rencontre à Rotterdam. Je pensais à lui parce qu'il avait le courage de la poésie assez rare, de prendre ses images où il les trouvait. Il ne les faisait pas. Je t'en donnerai un exemple.

Après avoir exhorté les français à s'unir, à ne pas se quereller entr'eux etc, il poursuit: (j'ai oublié le texte). ‘La France votre mère n'est pas une dame, une prude, une bégueule, non c'est une forte et franche femme du peuple, grande, bienfaite, à la poitrine puissante, à la hanche large. En vous voyant vous battre, elle s'emporte comme c'est l'habitude des femmes qui n'ont pas perdu la force de sentiment par trop de fausse civilisation. En jurant, en tempêtant, elle vous charge de ses imprécations, lève la jupe, se frappe le ventre et crie: ‘soyez unis! Vous tous, vous êtes mes enfants! Voilà les flancs, les larges flancs qui vous ont tous portés!’

Est-ce fort! Est-ce pittoresque! J'aime cela, et toi? Ah, tu n'as pas besoin d'aimer cette magnifique rudesse, il suffit mon enfant que tu n'en sois pas trop effrayée.

J'étais à Rotterdam. Je reçois une lettre de Van Lennep, 'n praatbrief. Il avait de l'esprit et j'aimais ses lettres. Il ne pensait pas encore à me trahir alors. Ce n'est qu' après... mais soit, passons! Entre autres causeries il me dit:‘Connaissez-vous Barbier, Auguste, le poëte? Figurez-vous qu'hier, juste à l'heure du diner, il se présente chez moi pour implorer mon secours. Il s'adressait à moi comme ‘frère en lettres’. Heureusement nous étions à table, ‘en ik kon hem 'n glas wyn en 'n cotelet presenteeren. Ook heb ik hem een oud vest en jas gegeven,’ etc. Il est banni de France, affaire politique (Barbier est républicain, sais-tu?) et il veut se rendre à Bade où il croit trouver des amis. Il est très pauvre, etc. etc.’

Si je connaissais Auguste Barbier! Je te demande un peu, moi qui récitait ‘zoo lief’ ses Jambes il y avait si longtemps! Si je connaissais Barbier? La question était drôle, et presque injurieuse!

Ah, me dis-je, Barbier pauvre! V.L. lui offre une cotelette ‘omdat ze juist aan tafel waren!’ Ainsi, Barbier une demi-heure plus jeune, ou une demi-heure plus âgé n'aurait pas eu de cotelette, et pas de ‘glas wyn’. Et la garderobe? Etait-il justement à mettre son pantalon, Mr. Van Lennep? Ou donne-t-on un ‘oud vest’ à un poëte exilé, même sans être ‘juist aan tafel’. Enfin cela ne me regarde pas. Mais: ‘ook reisgeld had Van Lennep hem gegeven’. Bien! Voilà mon raisonnement. Quand on pourvoit un poëte d'une cotelette sous condition d'être ‘juist aan tafel’ à coup sûr le reisgeld qu'on y ajoute ne sera pas grand chose! Etait-on justement à sa caisse?

(Je n'attaque pas Van Lennep ici. Il n'est pas du tout chiche ou mesquin. J'attaque le Hollandais Van Lennep. Tout autre à sa place aurait fait moins. Et il n'est pas riche.)

Bien, je dis Barbier pauvre, mon Barbier, le poëte d'images decolletées, cela me regarde! Et, j'étais pauvre comme Barbier! Je cherche une idée, et je la trouve. J'écris: ‘Het fatsoenlyk rotterdams publiek wordt verzocht morgen middag 2 uur in 't notarishuis. Entrée vry.

MULTATULI.

Entrée libre! Mais c'est très bon marché: il y avait foule! J'avais de la peine à me frayer un passage. Je parle, je raconte que Barbier est pauvre. Je lis le passage de la lettre de v.L. (sans le nommer et sachant parfaitement que les autres ne prendraient pas son ‘juist aan tafel’ comme moi) et je dis: messieurs, je vous ai appelés ici pour vous prier de m'aider un peu ce pauvre Barbier! Peut-être vous ne le connaissez pas. Le voici, vous le connaîtrez.’ Et je récite le beau fragment dans lequel il compare Napoleon à un cavalier, qui éreinte sa cavale: la France! (c'est magnifique!) Tels le rédacteur de la rotterdammer Courant, me fit l'observation que j'avais omis de profiter de l'enthousiasme pour faire la quête tout de suite. C'était juste! J'avais congédié mon public avec la prière de se côtiser, et j'aurais dû battre le fer chaud. Mais c'est une omission dont je me félicitai plus tard. - Eh bien, dis-je à Tels, c'est à redresser. Je vous donnerai un avis à insérer dans votre journal ‘les messieurs qui voudraient bien s'associer à la bonne oeuvre dont j'ai parlé aujour d'hui au notarishuis’... etc. Et la rédaction du journal s'empresserait à recevoir les offrandes. C'était arrangé, et je rentrais à l'hôtel.

Une heure après un employé de la rott. krant. Il entre comme quelqu'un qui croit avoir affaire à une chose très sérieuse, ou même dangereuse.

- Me... Me... M'sieur... voici l'avis... que vous... wy kunnen dat niet plaatsen.

- Hé, waarom niet? Mynheer Tels zei toch...

- Ja, maar... ziet u... die... zaak... die zaak...

- Wat drommel wat is er met die zaak?

Enfin, pour abréger, Barbier était un faux Barbier, ou du moins il n'était pas Auguste Barbier. Il était ni poëte, ni exilé du tout. Il s'appelait Jules et il a été condamné quelque temps après en France pour escroquerie. Là aussi il se présentait partout sous le nom du poëte, et il essayait se procurer ‘een ouwe jas, een oud vest, een cotelet en een glas wyn’ als de lui juist aan tafel zaten of bezig waren in hun kleerkast apparemment.

Espérons qu'il aura bien choisi son heure. Car escroquerie, pour escroquerie, il vaut mieux être escroc avec quelque succès que de se mal conduire et d'avoir faim par dessus le marché.

A Rotterdam on avait commencé à le suspecter parceque, parceque... Mr. Bogaers (le poëte du Togt van Heemskerk) était sourd. Tu crois mal lire? Non. La surdité de Bogaers a ‘in de wielen gereden de comedie van den valschen Barbier’. Voici comment. Il se présente. Au lieu d'une cotelette Mr. B. lui offre ‘een leitje’. Il a dû écrire au lieu de parler. Van Lennep m'a dit qu'il parlait comme ‘een boek.’ L'orthographe du voleur l'a trahi. Bogaers prend ses informations au consulat. Le pauvre vagabond qui avait négligé un peu son éducation littéraire, se venge de la schoolmeestery de B. en privant subitement la bonne ville de Rott. de son aimable présence.